Compte-rendu du colloque “Seigneurs et maîtres : dominer en Normandie médiévale”, Hugo Fresnel et Bastien Michel (dir.)

Le colloque « Seigneurs et maîtres : dominer en Normandie médiévale » (resp. H. Fresnel, Unicaen, CRAHAM ; B. Michel, Unicaen, CRAHAM/Université Le Havre Normandie, IDEES) s’est déroulé au Centre culturel international de Cerisy-la-Salle du 2 au 6 octobre 2024.

24 chercheurs venus de France, du Royaume-Uni et du Canada se sont réunis pour réfléchir sur le thème de la domination et à son application à la société normande du second Moyen Âge. Entendue ici dans un sens wébérien, la domination renvoie certes à l’exercice d’un pouvoir ou d’une coercition, mais aussi à la construction d’un cadre social auquel les dominés adhèrent. Internationale et intergénérationnelle (avec la présence de masterants, de doctorants et de jeunes chercheurs), la rencontre a permis de revisiter des sujets classiques de l’histoire normande, mais aussi d’ouvrir de nouvelles perspectives sur des thèmes ou des périodes moins étudiées. 

Le colloque était structuré en sessions visant à examiner des cas et des dossiers concrets, illustrant des situations où des rapports de domination sont visibles. Après une introduction présentant une brève généalogie de la notion et de son application à l’histoire médiévale, tout en soulevant certaines problématiques, une première communication a porté sur la domination au plus haut échelon de la société politique, à travers l’étude des relations entre le duc de Normandie, Richard II, et le roi des Francs, Robert le Pieux. Par la suite, d’autres travaux ont discuté de maîtres du duché à un échelon social moindre, et ce à partir de la biographie de Guillaume de Tancarville (seconde moitié du XIIe siècle), chambellan ducal, ou à partir des stratégies matrimoniales de Michel Dumont, bourgeois de Rouen.

La session suivante s’est concentrée sur des territoires spécifiques, comme les “enclaves” diocésaines au Moyen Âge central et les îles anglo-normandes avant 1204, afin d’examiner si ces territoires étaient soumis à des formes particulières de domination. Interdisciplinaire, la manifestation a aussi fait la part belle à l’archéologie. Ainsi, la troisième partie a réuni des présentations sur des sites castraux en Normandie, afin de comprendre comment les châteaux jouent un rôle central dans les rapports de domination en marquant durablement les paysages. Ces interventions ont porté notamment sur les châteaux rebelles sous le règne d’Henri Ier Beauclerc, ainsi que sur les châteaux de Gisors et de Caen, ce dernier étant sous occupation anglaise au XVe siècle. Divers supports servent aussi à la mise en scène des rapports de domination et au renvoi d’une image de soi qui distingue tel groupe du reste de la société. Ainsi, les récits d’adoubements chevaleresques, les festins – et leurs restes – et les sceaux féminins sont autant de marqueurs, symboles et codes de la domination et porteurs de discours qui doivent être minutieusement analysés. 

Une autre séquence a été consacrée aux serviteurs de Dieu. Seigneurs temporels, les abbés, abbesses et évêques, placés à la tête de communautés comme les monastères de la Sainte-Trinité de Caen et de Jumièges, ou de l’archevêché de Rouen, dominent également la société de leur temps et usent de l’écrit pour imposer leur vue. Cette session fut aussi l’occasion d’évoquer différents intermédiaires de la domination. Officiers et agents abbatiaux ont un rôle central, mais aussi risqué, dans l’exercice quotidien de la domination. Après une visite ensoleillée autour du havre de Regnéville-sur-Mer et de son donjon, deux communications ont traité des mots et des lieux de la domination, et des outils qui permettent aux historiens de les saisir, de l’édition des actes des du Hommet, connétables normands des XIIe-XIIIe siècles, à la mise au point de modèles informatiques pour cartographie les ressources dont disposent les ducs de Normandie. Enfin, la dernière session s’est focalisée sur Rouen, capitale du duché et seconde ville du royaume après Paris, dont le contrôle aux XIVe-XVe siècles a donné lieu à diverses stratégies, allant de la construction d’un mur ceignant la ville au resserrement des liens entre le roi et les populations urbaines pendant la Ligue du Bien Public et la Guerre folle. Une riche table-ronde a conclu la manifestation. Trois exposés se sont centrés sur les théories – telles qu’elles ont d’ailleurs été formulées par des auteurs médiévaux eux-mêmes comme Jean de Meung – les stratégies, normes et pratiques de la domination de même que sur ses manifestations archéologiques (habitats, objets).

En somme, les organisateurs se sont réjouis de la qualité des interventions et de la richesse des discussions, auxquelles ont participé près de 50 auditeurs dans le cadre toujours aussi exceptionnel du château de Cerisy. Si la notion semble opérante pour étudier les rapports de pouvoir de la société normande médiévale, de nombreux aspects doivent encore être approfondis. L’objectif de ce colloque était d’ouvrir de nouvelles perspectives et d’encourager des discussions qui pourront également stimuler de futures recherches sur cette question. Il restera, nous l’espérons, encore beaucoup à faire sur le sujet au terme de cette manifestation.

Deux communications sont maintenant disponibles sur la Forge numérique et Canal-U : Arnaud Montreuil, “L’adoubement chevaleresque et la domination seigneuriale laïque en Normandie (v. 1175-v. 1300)” ; Lény Retoux, “Faire valoir sa domination : Guillaume d’Estouteville face aux conflits de juridiction liés à la coutume de Dieppe (1453-1483)”.

• https://www.canal-u.tv/chaines/la-forge-numerique/l-adoubement-chevaleresque-et-la-domination-seigneuriale-laique-en
• https://www.canal-u.tv/chaines/la-forge-numerique/faire-valoir-sa-domination-et-repondre-aux-usurpations-de-coutumes-sous

Le résumé détaillé des communications est à retrouver sur le site du CCIC à l’adresse suivante : https://cerisy-colloques.fr/seigneurs2024/.

Les actes du colloque seront soumis aux Presses universitaires de Caen en vue d’une publication.